Hyppolite Romain, artiste clown voyageur et gentilhomme du XVIIIème

Par hasard, je croise le singulier Hyppolite Romain qui accepte de faire cette interview. « Singulier » parce que je l’avais aperçu aux shows et dans la rue à plusieurs reprises, intriguée par sa longue et digne silhouette vêtue d’une robe ancienne de mandarin : « très fonctionnelle, achetée aux Marché aux Voleurs de Pékin, comme le châle utilisé en manteau qui rappelle la toge antique, les bergers Masaï ou encore les moines tibétains ». Je connaissais ses illustrations pour les campagnes du Bon Marché : Hyppolite Romain est un artiste rare, multi-talents et directeur du Jardin d’Acclimatation qui a travaillé pendant vingt ans dans la mode.

 

Fin des années soixante-dix, Hyppolite Romain est journaliste, puis très vite dessine pour Pilote, Libé, Sandwich (le supplément de Libé). Pendant cinq ans pour Palace Magazine, il dessine toutes les nuits, les « Mille et Une Nuits » du mythique club parisien, Le Palace. Anna Piaggi, l’incontournable rédactrice du Vogue Italie et Vanity Italie lui commande trente pages par trimestre:

– J’ai suivi tous les défilés de par le monde. C’était « Le Diable s’habille en Prada ». Je dessinais 480 dessins en cinq jours durant les défilés

  

– Le vêtement est avant tout une futilité. Acheter des modes ne m’intéresse pas. Je suis un artiste, je vis et je m’habille comme un artiste. Je suis une véritable provocation. Ca rejoint la liberté. J’ai toujours voulu garder cette liberté. J’ai toujours été mon propre mécène et je suis devenu clown, j’ai fait de la mise en scène, écrit des livres, cuisiné : je suis tous terrains, un parfait autodidacte.

 

Et un peintre :

– Je peins comme un calligraphe chinois. Je peins directement comme on respire : vous peignez l’intérieur de vous. Je suis humain.

Il y a treize ans, Madame Figaro envoie Hyppolite Romain à Pékin : « C’est une rencontre ». Il y vit moitié du temps dans une ancienne maison traditionnelle dont il est le propriétaire, d’une de ces étroites petites rues typiques, les Hu Tong qui tendent à disparaître. Le Pékin intimiste. J’aime beaucoup ce versant à la fois austère, la pierre est grise, et humain, c’est très vivant.

– Je rêve, j’achète des meubles, je cuisine. Je vis comme un vieux chinois, comme un mandarin. Mais sans nostalgie. Je viens d’écrire un livre historique : « Sur les Traces d’un Jésuite en Chine ».

 

J’admire dans la pièce attenante, un immense et magnifique lit chinois du XIIème siècle. L’appartement oscille entre boudoir et salon des curiosités d’un grand raffinement.

 

Il est convaincu d’un « tsunami économique » après les fameux J.O. :

Qui va déterminer la prochaine dynastie d’après le communisme ?

Note de l’auteur: cette interview a été réalisée bien avant les récents événements au Tibet .

   

– Nous vivons un choc culturel, on a découvert qu’on était rien, l’Amérique, un géant aux pieds d’argile. Le XXIeme siècle n’a plus d’idéologie : on est dans une grande tombola, il n’y a plus de règle. Nous sommes devenus des consommateurs faibles. La France est un petit pays frileux, extrêmement corporatiste : le bling bling de Sarkozy, un petit homme agité dont le costume est trop grand.

– On ne peut pas ne pas être engagé. Je suis un des rares peintres qui peint son temps exactement comme Lautrec, Bruegel. Je raconte mon époque.

Hyppolite Romain, l’autodidacte érudit qui voue une passion pour le XVIIIème siècle et a récemment découvert le XVIIème est aussi un « vrai artisan » qui compare son rapport à la nourriture comme à l’amour  :

 Trente-cinq ans que je cuisine. Je fais de la porcelaine pour de grands porcelainiers de Limoge (Raynaud), dont le service « Marquise et Mandarin » que nous utilisons à la maison de thé du Jardin d’Acclimatation. Pour faire un bon bol, il faut parfois cinq siècles à certaines cultures. Il faut d’abord que ce soit fonctionnel et ergonomique, un objet manufacturé n’est pas une œuvre d’art. Tout n’est pas une œuvre d’art non !

L’artiste a aussi crée un cirque, d’abord « un dessin sur une nappe d’un cirque idéal », puis s’est fait prêter des lieux dans Paris (par entre autres Karl Lagerfield ) et a compté parmi les dix-sept saltimbanques de son cirque, le directeur financier du Nouvel Observateur en « Dresseur de Poissons Rouges en Férocité ». Rien que l’intitulé fait voyager. Le cirque a donné soixante spectacles uniques :

– Un rêve qui a duré seize ans.

Qu’il prolonge aujourd’hui dans son petit théâtre : « L’été à Richelieu, je fais un spectacle : Contes Chinois sous la Lune ».

Voici le Paris incontournable de ce vrai titi parisien, né en 1947 rue des Martyrs « derrière le Cirque Médrano » qui gosse, aurait pu sortir d’un dessin de Poulbot :

– Montmarte sans la Place du Tertre, là où ça ressemble encore aux tableaux de Maurice Trullot. Le Petit Musée de Montmartre, Le Lapin Agile. Les Quais de la Seine, Palais Royal, l’Ile Saint Louis, la Place des Victoires, le Musée d’Orsay. Les villes parlent, Paris murmure, aujourd’hui le brassage n’est plus là, changement d’époque. La gouaille parisienne, comme Michel Audiard, l’accent parigot, un héritage. La parisienne : une silhouette, un genre.

Et lorsque je lui demande de se définir par quelques objets, il sort de son sac un nez rouge de clown, un chapelet tibétain et une timbale « en vermeil » :

– Parce que c’est un signe de civilisation. J’essaye d’être un homme civilisé, un honnête homme qui rejoint le citoyen du monde du XVIIIème siècle. J’ai quitté la côte de maille pour arriver au gilet brodé.

Merci Monsieur Romain

www.hippolyte-romain.com 

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